Article paru dans la revue Kesher (Revue communautaire du Rabbinat Loubavitch de France)

Le Rambam écrit : « Nommer des juges et des huissiers de justice dans chaque région et chaque district est une mitsva positive de la Torah, comme il est dit (Deutéronome 16, 18) : « Tu institueras des juges et des huissiers dans toutes tes villes ». Le Grand Rabbin d’Israël Ovadia Yossef (1920-2013) rapporte des commentateurs affirmant que le Rambam considère cette mitsva encore applicable aujourd’hui d’ordre toranique, même si les juges ne peuvent plus recevoir l’ordination rabbinique ancestrale. D’autres décisionnaires comme Na’hmanide (1194-1270) ne sont pas de cet avis mais accordent beaucoup d’importance à l’installation de tribunaux. En effet, comme l’affirme le Talmud (Guittine 88b) un Beth Din de diaspora a le pouvoir de juger avec la permission et la délégation de pouvoir des rabbins des tribunaux rabbiniques d’Israël ayant reçu l’ordination ancestrale. Le Rashba (1235-1310) affirme en commentaire que ceci est d’ordre rabbinique. Il est suivi par l’auteur du Ourim Vétoumim (1694-1764) qui écrit concernant notre époque : « nous avons encore aujourd’hui l’obligation de nommer des juges dans chaque ville d’Israël et chaque district de diaspora, car les rabbins ont établi des institutions ressemblant à celles de la Torah ». Cependant, le Nétivot Hamishpate (1770-1832) y voit un commandement de la Torah toujours actuel.

Aucun poste, si important soit-il, ne dispense une personne de se présenter devant un Beth Din. En effet, le Talmud (Sanhédrine 19a) nous enseigne que même les rois de Judée descendants du roi  David peuvent être jugés. A l’opposé de ceux du royaume d’Israël, mais ceci, seulement du fait des massacres perpétrés par un des leurs : le  roi Alexandre Janée (–125 à –76). Le Marehé Hapanim pense que selon le Talmud de Jérusalem, on ne juge pas non plus les rois de la dynastie de David, mais il n’en est rien car Maïmonide tranche comme Rav Yossef : on traduit en justice un roi de la dynastie davidique, et il ne bénéficie d’aucune immunité royale, au contraire des rois d’Israël du fait des événements tragiques survenus avec Alexandre Janée. Par conséquent, de nos jours, tous les dirigeants peuvent être jugés. A preuve également : le traité Horayot (8b) s’agissant des princes, et le Tosfot Harosh traitant des exilarques pourtant davidiques, qui affirment qu’ils peuvent être déférés devant un tribunal. Il n’y a donc aucune immunité de poursuites pour un dirigeant communautaire, fût-il éminent et vénéré, car être jugé ne constitue en aucune façon une forme d’humiliation, il ne s’agit que de la recherche de la vérité et de la justice.

En revanche, Rabbi Yéhonatane de Lunel (1135-1211) soutient qu’il est honteux pour un roi de passer en jugement. De même, Rashi (Shevouot 31a) concernant le témoignage d’un roi. Mais en réalité, ceci n’est cohérent qu’avec le Talmud de Jérusalem ou les propos de Rabbi Zira dans le Talmud de Babylone et n’est pas conforme à la conclusion de la halakha comme l’écrit le Or Saméa’h (Sanhédrine 19a). De plus, dans une fameuse décision halakhique, le Rama a tranché qu’un justiciable ne peut pas refuser d’être jugé par un Beth Din permanent, et ainsi était l’usage dans la ville du Rama à Cracovie. Un justiciable ne peut récuser que la convocation d’un Beth Din siégeant occasionnellement, mais alors les justiciables devront se présenter devant un tribunal paritaire (zébla). Chacun choisira un juge et les deux juges désignés s’accorderont sur la sélection d’un troisième. Dans tous les cas, l’obligation de comparaître devant un Beth Din est incontournable car la justice doit être rendue.

Ne pas se rendre à la convocation d’un Beth Din est une transgression d’une extrême gravité. D’ailleurs, un chapitre entier du Shoulhane Aroukh est consacré au comportement que doit adopter un Beth Din face à un refus de comparution.

La notion de Beth Din permanent nécessite de nombreux développements mais je me limiterai dans cet article à la citation de l’un des grands maîtres de la génération précédente : le Grand Rabbin Wozner, auteur des Responsa Shévète Halévy. Contrairement au Iguerot Moshé, le G. R. Wozner considère qu’il y a actuellement, dans les grandes villes, des tribunaux ayant le statut de Beth Din permanent, ce qui empêche le recours à un tribunal paritaire. Voici ce qu’il écrit : « la raison est simple, d’une part, à mon humble avis, la notion de Beth Din permanent existe encore de nos jours, et n’est pas abolie comme le pensent certains décisionnaires. J’ai écrit par ailleurs, qu’une personne liée pour tous ses besoins à une communauté pourvue d’un Beth Din doit considérer ce dernier comme permanent et de ce fait un tribunal paritaire n’a pas à être envisagé. Et même si plusieurs communautés d’une ville dépendent d’un seul Beth Din, dans la mesure où celui-ci prend ses décisions conformément aux règles du ‘Hoshène Mishpate, et que ses juges respectent tous leurs devoirs, le statut de Beth Din permanent lui est conféré.

Une fois la sentence du Beth Din prononcée, celle-ci doit être acceptée et exécutée par les justiciables. Ne pas la respecter est très grave. Autrefois, les tribunaux disposaient d’auxiliaires pour faire appliquer leur décision. De plus, le Talmud (Sanhédrine 7b) rapporte que lorsque Rav Houna devait siéger au Beth Din, il disait : « apportez-moi mes outils de travail : bâton, ceinture, shofar et sandale. » Rashi explique : la ceinture pour les flagellations, le bâton pour les désobéissance aux règles rabbiniques, le shofar pour annoncer les excommunications et les mises en quarantaine, et la sandale pour le désistement du lévirat. 

Le Shoul’hane Aroukh précise en outre dans le ‘Hoshène Mishpate (19), les cas où l’on excommunie une personne n’ayant pas appliqué une décision du Beth Din. Cette excommunication se compose de plusieurs des mesures suivantes suivant les cas : ne pas s’asseoir ni manger à côté de lui, ne pas le compter dans le minyane, l’exclure de la synagogue, interdiction lui est faite de laver ses vêtements, de se couper les cheveux, chausser du cuir, d’assister ou donner un cours de Torah.

L’Admor Hazaken considère comme essentiel pour les juges de veiller à l’application de leurs verdict au moyen de pressions ou mise en quarantaine des justiciables, ou d’ordre mission aux auxiliaires de justice. Il est clair qu’il est formellement interdit de mépriser les juges. Malheureusement, il arrive parfois que l’une ou les deux parties d’une affaire n’apprécient pas la décision du Beth Din et la dédaignent. Terminons en souhaitant que les paroles suivantes du prophète Isaïe se réalisent rapidement : « je restaurerai tes juges comme autrefois, tes conseillers comme à l’origine, ensuite, on t’appellera ville de justice ».

Rav Michaël Shlomo Abichid