On l’avait oublié : les mots ont à la fois sens et puissance. Les événements qui ont secoué l’Amérique et, avec elle, le monde entier, ces incroyables images d’émeute au cœur de Washington, ont peut-être eu un effet salutaire. A l’heure où tout se dit, tout se filme, tout se diffuse et se transfère, en un temps où les réseaux sociaux sont devenus des faiseurs d’opinion voire des maîtres à penser, une telle explosion a un mérite : permettre de prendre un peu de recul, certes au prix d’un léger effort, et tenter de comprendre comment on en est arrivé là. De fait, il s’agit bien ici de la plus ancienne et la plus grande des démocraties modernes et pourtant c’est elle qui accueille de tels dérèglements…

Remontons quelque temps en arrière. Force est de constater qu’alors des mots dangereux, des appels à risque ont été lancés. Quel que soit le camp concerné ainsi que ses motivations, cela nous ramène au cœur d’une préoccupation ancienne : ce que l’on dit compte. Il faut sans doute se souvenir d’une vérité que la tradition juive a souligné au fil des siècles : la parole est porteuse de sa propre puissance. Si on ne la mesure pas, elle peut se révéler auto-réalisatrice, et bien au-delà de ce que l’on pouvait imaginer. Comme les événements récents le montrent, elle est capable d’entraîner derrière elle des hommes et des femmes, jusqu’à conduire à des destructions et même à des morts.

Faut-il donc y renoncer pour vivre en paix ? Certainement pas. La parole n’est-elle pas ce prodigieux cadeau que D.ieu fit à l’homme à sa création ? Alors, regardons-la pour ce qu’elle est : un immense pouvoir par lequel on peut dire le monde, l’expliquer et donc le transformer. Mais, pour cela, il faut la maîtriser. Fuir les violences, même perçues comme légitimes, est un impératif. Construire ensemble par l’échange que la parole permet est décidément notre chemin.